Sur une carte, Bouglon et Grezet-Cavagnan, ce sont deux points de part et d'autre de la D933 qui relie Marmande à Casteljaloux. Pour certains Lot-et-garonnais, ces deux villages n'existent même pas, vous imaginez bien qu'à Paris... Le vendredi 21 mai, Nicolas Sarkozy y faisait pourtant une visite éclair. Au programme : les fraises face à la grande distribution et la concurrence étrangère, et les médecins généralistes.
Trois hélicoptères, 1000 gendarmes mobilisés sur un rayon de 20 km, voies d'accès aux lieux de rendez-vous sur-contrôlées : de quoi mettre en branle tout le département et perturber la croissance des gariguettes suantes sous leurs serres. Loin des deux cars de journalistes et des points presse, portrait insolite sur les traces de la berline présidentielle... « Comme quoi, Grezet, c'est pas un patelin de merde ! »
8h30. La journée est belle. Les blés resplendissent dans toute leur verdure matinale et laissent échapper de temps à autre une touche de rouge coquelicot... Au milieu des épis, le bleu-gendarme d'une fourgonnette indique qu'on se rapproche. Premier tour d'horizon : tout est quadrillé et il faut montrer patte blanche. J'ôte négligemment mes lunettes de soleil juste avant un « check point » : geste fatal qui fit croire à l'agent que je téléphonais au volant...
9h. Chemin communal qui mène à Bouglon. Tentative d'intrusion par la porte de derrière. Le panneau de la commune passé, toujours pas de gendarme, l'excitation de l'explorateur qui découvre une terre encore vierge est à son comble... Jusqu'à ce qu'une jeune recrue surgisse de derrière un arbre. Oui, il faut savoir que sur la totalité de l'effectif policier, beaucoup se cacheront dans la forêt. Pas de négociation alambiquée, je suis envoyé directement à l'attachée de presse de la préfecture : je fais ce que je veux jusqu'à l'arrivée du président. Il est 9h30, les choses sérieuses commencent et je galope comme un gamin de Willy Ronis, l'appareil sous le bras.
"J'en n'ai pas dormi de la nuit ! Je tourne, je tourne, en me disant que je vais le rater, que j'aimerais le voir."
Certes Bouglon est un charmant petit village perché sur une colline de l'Albret. Certes, le site à l'avantage d'être difficile d'accès pour les convois d'agriculteurs mécontents. Certes, la salle des fêtes est idéal pour regrouper la presse. Mais soyons clairs tout de suite : Bouglon est un bon vieux village de droite. Un vrai.
Première étape, la mairie où le personnel paraît un peu perdu. Avertie de la visite de Nicolas Sarkozy par rumeurs et presses interposées, la première édile n'a reçu son carton d'invitation que l'avant-veille. Mais Madame Dupiol n'est pas rancunière et « est très heureuse de recevoir notre président de la République ». Madame Dupiol, vous savez, c'est notre vieille tante toujours bien apprêtée avec en plus, « un torrent de cailloux qui roule dans son accent ». Parfois, on l'appelle Madame Dumiel...
Premier attroupement de badauds locaux, en conciliabule sous un bleu-blanc-rouge mis là pour l'occasion. « Moi je l'attends. J'en n'ai pas dormi de la nuit. Je tourne, je tourne en me disant que je vais le rater, que j'aimerais le voir. J'aime bien moi Sarko. Tiens, mais voilà Claude ! Vous verrez, elle, elle saura quoi vous dire, la politique elle connaît ! » Une syndicaliste agricole à Bouglon ? Une représentante de l'opposition municipale qui va m'évoquer avec passion les dossiers brûlants du canton ? « Je vais vous dire, Bouglon est un village où l'on vit en paix. Nous sommes très honorés de recevoir le président car c'est quelqu'un d'intelligent, de brillant, capable et sympathique » martèle t-elle énergiquement.
Sur ce flot de paroles patriotiques, se joignent à nous un couple et leur (grand) fils. Jean-Claude, Michelle et Christophe viennent de Dordogne et sont tous les trois militants à l'UMP. « On le soutient ! Il n'a pas été assez ferme : tout ce qu'il a promis pendant la campagne, il aurait du le faire plus vite pour éviter de faire autant de déçus qui sont allés au Front National. Mais on sait que ce n'est pas de sa faute. Ce sont les hauts fonctionnaires qui l'entourent qui le bloquent. » Ils passeront leur journée à Bouglon. Pour espérer lui passer un message ? « Non, juste pour le voir ».
Un peu interloqué par tant de sacrifice kilométrique pour la nation, je poursuis mon exploration dans une petite rue adjacente. Un homme d'un certain âge astique sa voiture. « C'est pour Nicolas Sarkozy que vous nettoyez votre voiture ? » « Non... vous savez le président il a quelqu'un pour le lui faire : moi j'amène ma femme à l'hôpital cet après-midi ». Bernard est un militaire à la retraite. Il aime que les choses soient propres et bien rangées. Deux fils qui sont passés également par la caserne et aujourd'hui un « sale caractère » qui s'occupe des jeunes. Une sorte de Clint Eastwood fenchy Gran Torinesque si vous préférez. « C'est extraordinaire qu'un président se déplace dans un chef lieu de canton. Celui qui ne pense pas ça doit avoir fait l'école buissonnière pendant les cours d'instruction civique ».
Vous l'avez compris : pas de barricade à Bouglon en perspective. Même les gendarmes sont souriants : sur les coups de 11h, la maréchaussée me raccompagne vers la sortie du village.
"Il est où le chien ?" "Il est parti voir Sarko tiens !"
Sur la route de la caravane présidentielle, une épicerie-bar et une boucherie se partagent le marché des visiteurs de passage, sur la route de la ville thermale de Casteljaloux. Au comptoir du Punchy's bar, les blagues fusent sur la première dame et Stéphane, me servant un café ironise, revanchard, sur la foule clairsemée venue acclamée le président : ce matin-là, il ne fera pas son chiffre d'affaire habituel à cause d'une circulation perturbée. Il sera quand même aux avant-postes avec son appareil photo sur le bord de la départementale.
A 12h45, heure prévue du passage du convoi, la route est déserte et le soleil de mai cogne durement le bitume et chauffe les esprits. On croit apercevoir Clint Eastwood, mais dans un autre film. Puis comme un mirage, la citroën bleue nuit surgit et disparaît aussitôt. Quelques minutes plus tard, Stéphane ferme son rideau. « Il est où le chien ? ». Jacky, qui finissait sa bière et la lecture du courrier qu'il vient chercher à l'épicerie lui répond, philosophe : « Il est parti voir Sarko, tiens ! ».
Je poursuis ma route jusqu'à Casteljaloux, d'où l'hélicoptère présidentiel décollera. A 13h45, heure du départ, une petite troupe s'amasse. Ni fans, ni militants, ils sont là juste « pour voir ». Le convoi passe, la vitre se baisse, une main sort. Cinq secondes précieuses où le pouvoir rencontre le peuple, entre le Bricomarché et le Lidl. Violence symbolique forte entre ceux et celles qui, au fond, n'attendaient rien et celui qui préside leur destinée.
Je remonte à Bouglon libérée de ses barrages pour faire un petit debriefing avec la restauratrice qui a servi le déjeuner durant lequel, Nicolas Sarkozy rencontrait les médecins. Le cadre est magnifique, panorama exceptionnel. Malgré cela, l'établissement connaissait des difficultés financières et menaçait de mettre la clef sous la porte. Une visite opportune donc et une cuisinière ravit de cette aubaine. Avec son fils aux fourneaux et son époux au service, ils sont, en ce milieu d'après-midi, épuisés après une semaine de préparation pour le repas du chef de l'Etat. Épuisés mais heureux d'avoir su faire plaisir à un président qui n'est pas réputé pour sa gourmandise. Je les écoute, assis à la table encore dressée. « Il était assis à peu près là où vous êtes ». Mon postérieur frémit.
C'est l'heure de la sieste pour tout le monde. Les rues de Bouglon, désertes, résonnent au son d'un scooter complice d'un amour clandestin et de l'aspirateur de la voisine qui a laissé sa fenêtre ouverte. Un camion citerne manque d'arracher un drapeau tricolore : on a frôlé l'incident patriotique. Le seul de la journée.
Le convoi présidentiel en direction de Bouglon pour le déjeuner de travail.
Entre Port Sainte Marie et Agen.
Les commentaires récents