On
le savait. On savait qu'il y avait eu tricherie lors du Congrès de
Reims en novembre 2008. On savait que les sections du Nord (pro-Martine Aubry) et de la Seine Maritime (pro-Laurent Fabius
allié à Martine Aubry) avaient attendu le dernier moment pour rendre
public leurs résultats pour se laisser le temps de les ajuster en
fonction du score de Ségolène Royal.
Il suffit de lire le fameux rapport de Jean-Pierre Mignard (qui était
alors président de "Désirs d'avenir", l'association de Ségolène Royal),
publié au lendemain de l'élection de novembre 2008. Les socialistes
avaient tourné la page, amèrement mais tout de même. En cela, le livre "Hold-uPS, arnaques et trahisons" de Antonin André, journaliste politique à Europe 1 et de Karim Rissouli,
grand reporter à la rédaction de Dimanche + sur Canal +, ne nous
apprend donc rien de nouveau. D'ailleurs, la partie de l'ouvrage qui
traite de ce triste épisode ne pèse qu'un petit chapitre.
Ségolène Royal terminant son discours d'ouverture de l'université d'été de La Rochelle, édition 2009.
Martine Aubry, première secrétaire du PS, à La Rochelle. Elle ouvrira les universités d'été avec un discours offensif donnant les grandes lignes de son programme de rénovation du parti (enfin) et des échéances précises : elle promet un référendum aux militants pour le 1er octobre 2009.
Là où le livre est intéressant, c'est quant il nous explique le
pourquoi d'une telle manœuvre. Les deux journalistes mettent le doigt
sur les stratégies des uns et des autres : d'un côté, le "tout sauf Ségolène" , qui se préparait déjà pendant la campagne présidentielle de 2007, prend une forme concrète et de l'autre les escadrons de Dominique Strauss-Khan
préparent le retour de leur mentor en installant à la tête du parti une
personnalité sans ambition déclarée pour les présidentielles de 2012.
Là aussi c'est un secret de polichinelle mais les auteurs font une mise
au point éclairante.
Cependant une question reste en suspens : pourquoi ce livre arrive maintenant ? On parle beaucoup de "séquences" en politique aujourd'hui. L'actualité politique se dessinerait en "moments clefs" qui définissent une orientation à l'instant "t" pour une période donnée avant de passer à autre chose. Il suffit de voir la campagne de Barack Obama ou, plus proche de nous, le cas Sarkozy : nous avons eu le Sarko énervé, décomplexé puis l'homme apaisé avant de nous jouer le coup de l'homme d'Etat doté d'une stature internationale. Dans le cas de notre président, vous remarquerez que le séquençage est tellement grossier qu'on n'y croit plus mais là, c'est une question de point de vue...
En ce qui concerne nos amis
socialistes, nous étions en train d'assister à un changement de
séquence suivi d'un renversement de tendance. Après la longue période
des divisions internes, le PS était "au travail" et, en plus, il se payait
le luxe d'imposer son agenda au Président de la République (taxe
carbone, non-cumul des mandats... cf. note précédente).
Il a fallu ce livre pour engendrer ce qui pourrait bien être un retour à la case "division". Les ténors socialistes pourraient feindre la réconciliation définitive arguant que les plaies sont pansées depuis longtemps et que le livre d'Antonin André et Karim Rissouli arrive un peu tard... Mais Ségolène Royal ne fut pas de cet avis menaçant de poursuivre en justice les coupables (beaucoup de ses anciens amis ne la suivront pas sur ce terrain glissant car le camps Royal n'est pas non plus exempt de tout soupçon : la présidente de la région Poitou-Charente renoncera finalement).
Ce livre vient plutôt à contre-temps et ce sur deux points. A contre-temps d'abord dans le propos. En effet, les auteurs mélangent les déclarations des uns et des autres alors que ces dernières ne viennent pas dans le même contexte (notamment dans le chapitre qui traite de l'affaire Julien Dray). En d'autres termes, ils réécrivent un peu l'histoire à leur sauce. Cela ne remet pas en cause la véracité de leurs propos mais disons qu'ils forcent un peu le trait (ou en tout cas ils donnent l'impression de forcer le trait) en décontextualisant les dires et les agissements des personnalités incriminées. Un peu à la manière de Michael Moor dans ses films : le cinéaste américain utilise avec brio le montage de ses films pour donner de la force à ses propos. C'est efficace mais parfois un peu dérangeant. A contre-temps ensuite au regard de la date de publication : il n'y avait pas meilleur moment pour casser la dynamique du Parti Socialiste qui débutait sa "Reconquista".
Ségolène Royal, pendant le discours d'ouverture de Martine Aubry à La Rochelle.
Martine Aubry à la médiathèque de Toulouse avant le meeting d'ouverture de la campagne des européennes le 25 avril 2009.
Alors, on pourrait se laisser facilement tenter par la théorie du complot quand on voit que les deux journalistes travaillent ou ont travaillé à Europe 1, qu'ils remercient Catherine Nay à la fin de leur livre et que ça sent la piston signé Jean-Pierre Elkabbach dans le dernier chapitre (p167, on assiste à un très beau montage narratif : les auteurs nous vont naviguer simultanément entre le discours de Sarkozy à Versailles et une conférence très très privée, en petit comité, organisé par le Club Lagardère et orchestré par M.Elkabbach). Soit. On évitera peut-être de tomber dans ce travers même si la question mérite d'être posée. Il reste cependant indéniable que la publication d'un tel livre à un tel moment ne cherche pas seulement à rétablir une vérité (déjà connue de tous) : parfois les dommages collatéraux font partie de la stratégie militaire...
Un militant à La Rochelle, fou de joie ou exaspéré ?
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