Barack Obama prix Nobel de la Paix. Étonnante élection. Certains la trouvent prématurée, d'autres inopportune... Certains pensent qu'il s'agit d'une injonction à l'action concrète, d'autres y voient un garde-fou pour éviter un nouvel Irak en Afghanistan.
Cette élection semble être le reflet d'une époque, d'une tendance
: le retour de la parole, du discours, du mot. Ces
derniers n'avaient pas disparu mais ils sont désormais au centre de
l'action politique non plus comme un moyen, un outil de communication
mais comme une fin en soi.
Barack Obama, juste avant son discours d'investiture. Photo de l'excellente Callie Shell.
C'est en écoutant la radio sur les routes du Lot-et-Garonne que cette réflexion m'est venue à l'esprit. François Rebsamen, maire de Dijon et sénateur de la Côte d'Or, était l'invité d'une émission de France Inter (vous m'excuserez, je ne me souviens plus de laquelle) et il justifiait le choix du Comité Nobel de la façon suivante : « Les paroles de Monsieur Obama sont apaisantes ». Surprenant pouvoir du verbe que tout un chacun a pu cependant constater au moment de l'élection du premier président noir des États-Unis en novembre dernier.
Dans ses discours le président américain offre du sens à ses concitoyens. Il leur donne une direction, une orientation et donc une raison d'espérer (ou de contester comme c'est le cas avec la réforme du système de santé). On pourrait même émettre l'hypothèse d'un retour à la tradition du discours, de l'art oratoire non pas dans le but de manipuler un auditoire mais pour instaurer un véritable dialogue où chacun dans ses discours est responsable de ce qu'il dit et donne un peu de soi. Et c'est à travers ce dialogue que la société fait sens et se donne un sens pour une cohésion pacifiée non plus par les armes mais par le verbe. Plus qu'une injonction, cette désignation est le couronnement d'une nouvelle façon de faire de la Politique.
Benoît Hamon, porte-parole du PS lors d'un discours à Frangy-en-Bresse (août 2009).
Doit-on craindre « une nouvelle phase de contrôle social qui ajouterait aux disciplines et aux dispositifs analysés par Foucault et Deleuze un pouvoir de narration qui s'exercerait directement sur l'imaginaire des individus ? » comme s'interrogeait Christian Salmon, l'auteur du célèbre ouvrage « Storytelling ». Est-ce que le sacre d'Obama est un nouveau chapitre de l'histoire qu'il veut nous faire gober où il jouerait le rôle d'une figure de paix alors qu'il envoie des renforts américains en Afghanistan ? Sommes-nous victime d'une fiction manageriale qui s'en remet à nos émotions pour nous séduire et nous manipuler ? En France, le storytelling a eu un certain écho dans la bouche de Ségolène Royal, Bernard Kouchner ou encore Nicolas Sarkozy. Tous ont parfaitement conscience que pour convaincre les Français il faut leur raconter des histoires et se faire l'acteur d'un récit dont on dessine de jour en jour le séquençage pour les médias et les citoyens. Fantastique technique de diversion en fait. Ainsi Obama prix Nobel de la Paix marquerait le couronnement d'un retour à l'inaction, aux paroles en l'air et à la manipulation par les beaux discours qui ne sont pas suivis d'actes ? Non.
Ce
retour en arrière n'est plus possible car les opinions publiques ont
évolué. Le discours ne se fait plus seulement du haut d'une tribune
devant un auditoire malléable que l'on pourrait mettre en rang
aisément à la manière d'un régime totalitaire. Nous ne sommes
plus au temps où un homme politique prend la foule comme il prend
une femme se délectant de ses cris enthousiastes à chacune de ses
saillies verbales. Il s'instaure désormais un véritable dialogue où
la « foule » des citoyens attend de l'émetteur d'un
discours qu'il prenne ses responsabilités, qu'il y ait adéquation
entre sa parole et ses actes.
Arnaud Montebourg, député PS de Saône-et-Loire, lors d'un discours à Montgeron (Essonne) (juin 2009).
Jeudi
15 octobre avait lieu une table ronde sur l'état de l'opinion
publique en France dans le cadre du Salon des métiers du Politique
qui se tenait au Parc floral de Vincennes. Intervenait, entre autres
, Stéphane Rozès, ancien directeur du CSA. Ce dernier nous délivra une analyse vraiment
intéressante de l'opinion telle qu'elle se dessine en France dans un
contexte de crise et de morosité ambiante. Ses conclusions sont
simples : « les Français veulent un récit ». La crise
les a mis face à leurs contradictions (satisfaire ses envies par la
consommation et respecter l'environnement, construire sa propre
individualité et désir de solidarité et de communauté... etc.).
De ce fait, ils doivent « réaménager leur imaginaire »
sur de nouvelles valeurs telles qu'une consommation plus qualitative
ou la notion du « travail utile » plutôt que le « travailler plus ». Cela passe par un certain "rigorisme"
et une volonté de cohérence entre ce qui est prôné et ce qui est
fait. Rigorisme et cohérence qu'ils s'imposent mais qu'ils veulent
imposer à leurs dirigeants politiques. Ils attendent d'eux une
certaine exemplarité, un récit cohérent qui fasse sens. Ainsi le
fait que Barack Obama soit le nouveau prix Nobel de la Paix est
certes une injonction à l'action mais surtout un appel à la
cohérence pour éviter toute nouvelle désillusion.
Stéphane Rozès adoptait une vision à la fois optimiste et pessimiste face à ce « rigorisme » dans la société française. Optimiste car il est une exigence à plus de responsabilité. Pessimiste parce que si cette attente n'est pas satisfaite, une société à tendance à chercher le bouc-émissaire pour surmonter ses propres contradictions.
L'affaire Jean Sarkozy est un exemple flagrant d'incohérence entre les discours du candidat Sarkozy sur le mérite républicain et son dernier discours sur le Lycée du mardi 13 octobre et l'ascension fulgurante d'un fils qui n'a que pour compétence d'être bien né. Selon Stéphane Rozès, Nicolas Sarkozy a gagné les élections de 2007 parce qu'il avait su « fixer un cap ». Aujourd'hui beaucoup préparent une mutinerie ou quittent la barque : pourvu que leur nouveau capitaine ne soit pas borgne... et que notre futur conteur ait le même talent qu'un prix Nobel.
Salut Antoine, c'est Dario valerio, on a suivi des cours ensemble à Bordeaux (conf d'Anglais?) je ne sais pas si tu te souviens. En tout cas, j'ai vu ton contact sur Linked In (Carolina) et c'est ainsi que j'ai trouvé ton blog: vraiment intéressant et bien fait, j'aime beaucoup ton style et tes reflections.
J'aimerais ajouter d'autres élements:
- Obama est sans aucun doute le personnage du siècle, ou du moins du débout du siècle. Il a un grand charisme qui dérive en partie aussi de sa grande capacité de communiquer, mais je crois surtout du caractère extremement symbolique de sa figure et de ses fonctions. Par rapport au Prix Nobel, combien pèse le fait d'image?
- Par rapport au sujet plus large de ton post, je trouve que Deleuze, Foucault et meme Bourdieu sont plus actuels que jamais. Dans tout l'occident l'"imaginare" joue un role de fou aujourd'hui: j'oserai meme dire les "fantasmes" et Berlusconi en est une preuve magistrale. Je parle pour l'Italie, mais il est facile de constater que les ouvriers au salair de base, jadis politicisés à l'extreme, revent avec Berlusconi: de rouler en BMW, de gagner des privilèges etc. Il est aisé de manipuler ces fantasmes et de créer une "histoire parallèle", mais je crois que deux conditions sont essentielles (et je conclue..): - la volonté des citoyens et leur bésoin grandissant à la fois de comfort et d'évasion; - le silence, ou mieux les intervalles. Dans le can-can quotidien du politique, il est facile de se fatiguer, la pluspart des gens ne suit pas l'actualité: voilà comment on parvient à créer des "mythes" aussi modernes que faux et inconsistantes.
Excuse-moi pour la longueur mais ça m'intéresse beaucoup, à bientot j'espère
Dario
Rédigé par : Dario | 12 janvier 2010 à 14:54
Salut Dario,
Je te réponds très très tard mais comme tu le vois je ne suis pas aussi assidu sur ce blog que je le voudrais. Merci pour ton commentaire et l'intérêt que tu as porté à cet article.
Il est vrai qu'en Italie, vous n'êtes pas gâté. Je ne connais pas bien, hélas, le système politique italien et je t'avoue que pour moi, Berlusconni et surtout ses succès électoraux sont une vraie énigme.
Je ne sais pas si tu as l'occasion de passer en France. Je sais que Michele est à Agen et il faut absolument que je trouve le temps de l'appeler pour qu'on aille se boire un verre.
Je regrette de ne plus être sur les bancs de Sciences Po pour pouvoir approfondir ce genre de sujet. J'espère sincèrement qu'un jour on parvienne à se croiser je ne sais trop où ni quand mais... un jour histoire qu'on parle de tout ça.
A bientôt,
Antoine.
Rédigé par : Antoine | 02 avril 2010 à 01:01